Nina... au-dessus de toutes

Jean-Françoise Roubaud
Nice-Matin, 15 July 1997

L'angoisse du jour à Cimiez, c'est Nina. Viendra, viendra pas? On l'a vue dans l'apres-midi. Epicure l'avait certes déjà rattrapée, mais la "prêtresse de la soul" semblait d'attaque.
Incrédule, son manager avait même dû obtempérer à une impérative requête: "Je veux que tu m'organises une conférence de presse". Conoissant sa star, il avait un instant hésité. Lard ou cochon? Impossible de trancher. Nina Simone, c'est vrai, s'exhibe peu et s'offre rarement - jamais! - ainsi en pature aux médias. Mais là, au bord de la piscine de l'hôtel Rabisson, un verre de rosé dans la main droite, une coupe de champagne dans la gauche, bien campée dans une douce torpeur, Nina insiste.

Alors, à la guerre comme à la guerre. conférence elle reclamait, conférence de presse elle a eue avec coup de gouaille et tout le toutim: "A Cimiez ce soir? Non, franchement, je ne vois qu'une chanteuse de jazz: moi!!". Madaleine Peyrou, la nouvelle voix qui monte, et c'est l'ouverture dè cette nuit jazz au feminin, en prend pour son grade. Mais la mégalomanie de Nina n'est pas hargneuse. Juste provo: "Depuis la mort de Billie Holliday et de Ella Fitzgerald, je porte toute seule sur mes épaules la légende du jazz au féminin et ce n'est pas facile!" (rires).

Nina a donc la pèche. C'est clair. Cimiez pourtant redoute encore le pire. Oreilles rivées aux talkie-walkie, les organisateurs suivent minute par minute l'humeur de leur star: "elle est sortie de sa chambre", "Ok, c'est reçu!", "Elle est descendue dans le hall", "Ok, cinq sur cinq, tu m rappelle dè qu'elle quitte l'hôtel pour Cimiez".

Parano, les maîtres du jazz? Non, bien informés. Nina n'a peur de rien ni de personne. Un tout petir grain de sable dans sa bonne humeur et, vlan, elle est capable de tout plaquer. De refuser de monter en scène. D'autres festivals ont dejà fait l'expérience douloureuse de ses caprices jazz... Totalement gratuits. Nina est indomptable. Et la furieuse sortie qu'elle a réservée dand l'apres midi aux journalistes en atteste: "Le rap?! Qui ose me parler de rap? Cette musique est indigne. Elle est à bannir car avec sa rythmique répétitive et son verbiage creux, elle est en train de tuer tout doucement le jazz. Alors qu'on ne me parle plus de rap, jamais!".

Le coup de guele a d'aillers mis un point final à la belle conference de presse qu'elle avait réclamée. Il augurait d'une sortie d'angoisse pour les programmateurs du Nica Jazz Festival qui, jusqu'au bout d'ailleurs, n'y croiront pas: "Elle ne va pas monter, je le sais, je le sens, elle ne vas pas monter", peste dans sa barbe l'un d'entre eux.

Dans les Arènes et les Jardins, es autres suffragettes du jazz assurent certes.
Petite soeurette du grand grand Taj Mahal, Carol Frederiks suprend ceux qui n'avaient jamais voulu voir en elle qu'une choriste de luxe de Jean-Jacques Goldman. Aziza Mustapha Zadeh a, elle, psamodié un jazz étheré qui hésite entre la Perse antique et les gymnopédies de Chick Corea. Candy Dufler, souffleuse de charme, coule dans les Arènes de longs chorus "Côte Quest" et ensorcelle Cimiez. mais voilà, la foule immense est venue pour Nina. Nina qui n'est pas encore là. Nina qu'on annonce enfin. "Ça y est, elle a quitté l'hôtel, elle arrive à Cimiez".

Au bord de la crise de nerfs, le régisseur en pleurerait presque. Ignorant tout de ce terrible suspence qui s'est joué en coulisses, les aficionados de Cimiez se contenteront de swinger avec Nina qui se donne. Qui bouleverse. Et dont le "We Shall Overcome" devient l'hymne jazz de ce Festival 1997.